31 Jan Bernard Buffet, Les Clowns
Les clowns tristes de Bernard Buffet
Depuis le 14 octobre 2016 jusqu’au 05 mars 2017, le musée d’art moderne de la ville de Paris organise une exposition sur Bernard Buffet.
Cet événement m’a donné envie de commenter une de ses œuvres.
Mais je me suis dit : « ça va servir à rien, tout a surement été dit ».
Par rapport à l’exposition, je m’attendais à voir plein de sites reprenant sa biographie ou commentant ses tableaux.
Mais ma surprise fut totale.
La majorité des articles parlant du peintre se rapportait à l’exposition en cours. Et encore, ils en parlent succinctement.
Quelques autres reprenaient sa biographie.
Je n’en ai trouvé qu’un seul qui analysait une de ses peintures.
J’ai donc voulu ajouter mon grain de sel pour faire (re)découvrir ce célèbre peintre français du XXe siècle.
Nous allons donc nous intéresser à sa série des clowns tristes qui ont fait la célébrité de Bernard Buffet.
Vu la quantité de tableaux je n’ai évidemment pas pu tous les analyser.
Portrait de clown (1955)
Version vidéo :
Version article :
Nous comprenons vite le paradoxe de ce tableau : il y a un clown et il est triste.
Le clown, figure par excellence de l’amusement et de l’humour, ne nous fait pas rire. Au contraire il nous déprime.
Il ne sourit pas. Ses yeux expriment une profonde mélancolie. Les rides du front évoquent son âge avancé mais leur nombre évoque ses problèmes et le stress qu’ils engendrent. Sa tête est allongée, ce qui creuse les joues et lui donne un aspect maladif.
Le fond accentue encore la tristesse du tableau. Le bleu qui est d’habitude une couleur profonde qui calme et apaise devient une couleur terne avec des traits noirs.
On arrive à dire que c’est un clown grâce à son maquillage. Mais les couleurs sont tellement ternes qu’elles produisent un effet inversé. Au lieu de cacher la tristesse du personnage, elles l’accentuent.
Même en tant que clown il est divisé. Il est à la fois le clown blanc avec le coloris blanc autour de l’œil gauche et le sourcil droit, et le clown auguste avec le nez rouge, le gros sourcil droit, le triangle vert et le rectangle jaune.
Mais s’il correspond à deux clowns, il reste aussi lui même. Son aspect normal est finalement assez peu masqué. La majorité de son visage n’est pas maquillé, il ne porte pas de perruque comme on a l’habitude d’en voir et il n’a pas de vêtement burlesque.
La cravate jaune vive à motif rappelle le costume du clown. Mais elle fait surtout ressortir la sobriété, et même l’élégance, des autres vêtements.
Tous ces éléments expriment la complexité du personnage :
– Il veut faire rire mais il est triste
– C’est un homme normal qui s’habille normalement mais c’est aussi deux clowns.
Sa complexité se transforme même en l’auto-sabotage :
– Pour faire rire il se maquille mais son maquillage amplifie son aspect triste.
– C’est un homme noble qui conçoit des projets (clown blanc) mais c’est aussi celui qui les fait échouer (clown auguste).
Tout ce qu’il entreprend fini donc par rater à cause de sa personnalité, et ça peu importe sa bonne volonté.
Mais pourquoi l’avoir à peine déguisé ?
Peut-être pour rappeler qu’il s’agit avant tout d’un humain. Clown, c’est son métier et pas sa personnalité. Ce n’est pas parce qu’il fait rire les autres qu’il est lui-même joyeux.
Cette distinction rapproche donc le maquillage du masque social. Mais comme nous l’avons dit, ici, il ne sert plus à paraître heureux, il accroit ce qu’il ressent réellement.
Bernard Buffet a peut-être aussi limité le camouflage pour que le public puisse se reconnaître en lui.
Le spectateur prend alors conscience de son état : lui aussi a une personnalité complexe, lui aussi a déjà essayé de faire bonne figure alors que rien n’allait.
Mais en même qu’il s’en rend compte, il réalise qu’il n’est pas le seul. Au pire des cas, même si la personnalité de ce clown n’est pas généralisable, lui il est comme nous. Cette similitude nous rassure. Savoir que quelqu’un d’autre est comme nous a toujours un effet apaisant.
Pour info : il existe aussi une « pathologie » qui porte le nom de clown triste. Il désigne les personnes qui cachent leur angoisse (qui peut même se transformer en dépression), derrière leur humour et leur aspect jovial.
Info supplémentaire : on reconnaît l’œuvre de Bernard Buffet grâce au trait noir, parfois assez épais, qui délimite bien les formes.
Regardons d’autres tableaux de clowns tristes.
Mon analyse est plus rapide sur les tableaux suivants car ils ont de nombreuses caractéristiques communes avec celui que nous venons de voir.
Duo de clowns tristes
(Je ne connais pas le vrai titre)
Comme le précédent, les visages sont tristes et allongés et les couleurs sont ternes. On retrouve ce trait noir caractéristique de Bernard Buffet.
Cette fois-ci il y a deux clowns et ils sont bien distinct : à droite le clown blanc, à gauche le clown auguste.
Là ils sont intégralement déguisés en clown.
Le clown blanc a arrêté de jouer de la trompette et observe le second clown qui continue à jouer tout en nous regardant.
J’imagine qu’il vient de se passer un gag comme on en voit au cirque.
Le clown blanc jouait sérieusement. Le clown auguste a voulu faire comme lui. Il a alors pris une guitare sans savoir en jouer et a ruiné la mélodie du premier. Celui-ci s’est alors arrêté pour le regarder et le second nous regarde pour savoir si ça nous a fait rire.
Mais nous n’avons pas envie de rire. Nous sommes autant déprimés qu’eux. Si d’habitude les clowns arrivent à transmettre la joie, ceux-là nous ont communiqué leur tristesse.
Si ce n’est pas drôle c’est à cause de leur manque d’expression. En entendant le son affreux de la guitare, le clown blanc aurait dû avoir un air choqué ou énervé. En jouant de son instrument et en voyant la tête de l’autre, le clown auguste aurait dû être hilare.
Leurs expressions auraient dû être poussées au point d’être caricaturales.
Le contraste entre la joie extrême et la déception ultime aurait permis au gag de réussir.
Mais leur tristesse l’a empêché de fonctionner.
On peut voir une deuxième interprétation de ce tableau.
Il n’y a pas eu de gag. Les deux clowns étaient en train de jouer. D’un coup, le clown blanc a arrêté.
Il se demande ce qu’il fait là, à quoi ça lui sert de jouer, qu’est-ce que ça fait s’il arrête.
Comme il ne trouve pas les réponses, il regarde son compagnon, mais c’est sans espoir. Si celui-ci affiche déjà la tristesse il n’a pas encore arrêté de jouer Il ne s’est pas encore demander le pourquoi de tout cela.
L’attitude du clown blanc me fait penser à la notion d’absurdité chez Albert Camus.
Celui-ci explique que l’homme cherche toujours un sens à son existence.
Mais un jour on se demande si la vie vaut la peine d’être vécue. La monotonie de notre quotidien et la mort qui nous attend font un jour apparaître le « pourquoi ». Nous prenons alors conscience que le monde n’a pas de sens.
L’absurde correspond à la confrontation entre notre quête de sens et le non-sens de la vie.
(Pour plus d’informations vous pouvez consulter les liens suivants :
Une vidéo courte qui explique clairement l’absurde ou un site qui synthétise clairement cette notion ).
J’imagine bien ce clown blanc, faisant chaque jour les mêmes gags, et qui là se pose cette fameuse « pourquoi ». Il arrête alors de jouer pour voir ce que ça ferait s’il mettait fin à la répétition.
Attention : je ne sais absolument pas si Bernard Buffet a lu Albert Camus.
C’est une interprétation qui m’est venue à l’esprit. Je me suis concentré sur ce que je voyais en tant que spectateur.
Les clowns musiciens : la danseuse (1991)
Cette fois-ci il y a encore plus de personnages.
La joie devrait être au summum puisque plusieurs éléments festifs sont rassemblés : il y a des clowns, de la musique, de la danse. On imagine très bien la fanfare du cirque.
En plus là, ils sont intégralement déguisés et personne n’a arrêté son activité.
Mais une fois de plus l’attitude des personnages contraste avec l’ambiance, et ce contraste fait ressortit leur tristesse.
Le plus à droite a une expression neutre.
Celle qui danse lève les yeux au ciel. Peut-être qu’elle se sent ridicule, ou alors elle en a assez de faire ça et elle adresse une prière discrète.
Le clown à côté d’elle la regarde d’un air dépité, comme s’il souffrait de la voir dans cet état.
Le dernier joue et chante mais il a l’air absent. Il fait ce qu’il a à faire de manière mécanique, son esprit est ailleurs.
Les bras du clown blanc sont extrêmement maigres. Ceux du clown dansant choquent encore plus par le contraste avec ses jambes. On dirait qu’elle se transforme petit à petit en cadavre.
Et que penser du cœur transpercé par une flèche sur le tambour ?
Ce dessin rappelle la flèche envoyée par Cupidon pour qu’une personne tombe amoureuse. Ce cœur est donc le symbole de l’amour naissant.
Mais là, ne faut-il pas prendre ce dessin dans sa signification première, c’est-à-dire un cœur qui est vraiment transpercé et qui souffre ?
Il devient alors le symbole du mal-être des personnages.
Avec ses deux interprétations possibles, le cœur devient le symbole de l’ambivalence du tableau. Il représente la joie de l’ambiance et la tristesse des clowns.
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