10 Nov La Mort de la Vierge du Caravage
L’analyse de la Mort de la Vierge en vidéo :
L’analyse de la Mort de la Vierge en article :
A première vue le tableau paraît normal. Caravage a bien représenté ce que les moines de l’Eglise Santa Maria della Scala lui avaient demandé : une Dormition. C’est-à-dire la mort de la Vierge avant son Assomption.
Mais il provoqua un vrai scandale et les commanditaires refusèrent le tableau.
Nous allons donc voir ce qu’il y a de si choquant dans ce tableau.
Tous les éléments du tableau nous dirigent vers le corps de Marie :
- C’est la seule à avoir le visage entièrement dans la lumière.
- Les apôtres forment une ligne descendante qui nous guide vers elle. Ligne qu’on retrouve dans le décor.
- La disposition des apôtres dirige notre regard d’une deuxième façon. La tête de l’apôtre de gauche nous envoie vers celui qui tourne la tête, nous dirigeant ainsi vers celui qui est plus baissé, nous menant vers celui qui est devant lui par la similitude de sa position, qui nous fait descendre le regard vers la Vierge.
- Le regard des apôtres nous dirige toujours vers la Vierge soit directement (flèches bleues) soit indirectement (flèches jaunes)
- La couleur de sa robe est bien plus voyante que celle des vêtements des autres personnages. Sa robe fait écho au somptueux rideau rouge situé au-dessus d’elle. Il y a ainsi un jeu d’association : on regarde le rideau d’un rouge éclatant qui occupe presque un tiers du tableau , et par association de couleur, on retourne à la Vierge.
- Les apôtres groupés derrière elle, le mur servant de fond et le rideau rouge sont des éléments bloquant notre regard. Il n’y a rien à voir ailleurs, le sujet est là devant nous.
- Le seul espace existant parmi les personnages c’est entre la Vierge est nous. Cet espace sert à la mettre en valeur et à attirer notre regard. Seule Marie-Madeleine aurait pu nous gêner mais elle est recroquevillée sur sa chaise. Nous regardons donc directement Marie ou sa main gauche ou ses pieds qui nous mènent vers son visage.
- Même la bassine au premier-plan nous dirige vers la Vierge par l’intermédiaire du pied du lit.
Si les apôtres et les objets nous dirigent tous vers la Vierge, regardons la en détail.
Marie a le ventre et le visage gonflés et sa peau est de couleur cadavérique.
Sa main gauche pend dans le vide tandis que sa main droite est posée de manière négligée sur son ventre. En plus d’être représentée pieds nus, ses pieds sont sales et pendent hors du lit. Son lit n’en est même pas vraiment un. C’est une planche de bois trop petite pour elle.
La couverture jetée sur elle évoque le froid ressenti avant la mort et la bassine au premier-plan symbolise la toilette mortuaire.
La bassine a un rôle important. On regarde la Vierge, on regarde autour d’elle et une fois qu’on prend du recul, elle nous apparaît. Elle est imposante située ainsi au premier-plan. Elle supprime toute notion de célébration divine future en rappelant que la prochaine action sera de nettoyer le corps de Marie.
Autour d’elle les gens ressentent de la douleur. La femme au premier-plan, identifiée comme Marie-Madeleine se morfond de tristesse. Derrière, un apôtre ne cesse de pleurer, un autre adopte la position de la mélancolie, un autre a la respiration coupée à cette vue, deux autres sont effarés, deux autres détournent le regard de cette scène et les trois du fond discutent l’air inquiet.
Trois symboles religieux sont présents. Il y a l’auréole discrète située derrière la tête de la Vierge et deux autres qui sont plus soumis à interprétation.
La lumière sert à mettre le corps de Marie en évidence. Par contraste elle renforce l’obscurité du tableau et donc l’atmosphère dramatique de la scène. Mais cette lumière qui vient du haut du tableau pour éclairer son corps peut aussi correspondre à la lumière divine.
En accentuant les contrastes du tableau, on se rend compte qu’aucun apôtre ne voit la lumière divine. Soit ils sont dans le sens opposé, soit ils lui tournent le dos. Nous sommes les seuls à voir cette lumière annonciatrice de l’Assomption.
Le rideau rouge peut être vu comme un accessoire théâtrale. Mais en étant suspendu ainsi au-dessus de la Vierge avec un rouge plus somptueux que sa robe, il donne l’idée d’une élévation future. Le fait que ce soit la zone la plus éclairée semble confirmer sa symbolique divine.
Ainsi Caravage n’a pas représenté une mort idéalisée correspondant à ce qu’on attend de la Vierge. Il a représenté sa mort de manière réaliste comme elle se produit ailleurs avec la part de tristesse et de laideur qu’elle engendre.
Le scandale provoqué par cette représentation de la mort de la Vierge s’est accentué avec la rumeur disant qu’une prostituée avait servi de modèle pour représenter Marie.
Mais le tableau a-t-il vraiment été refusé pour le réalisme de cette mort ?
Pour répondre à cette question il faut comprendre que la mort de Marie n’est pas décrite dans la bible. L’Assomption est un dogme qui n’a été reconnu par l’Eglise que le 1e novembre 1950.
Avant cela, la mort de Marie était une croyance reposant sur un texte apocryphe repris dans La Légende dorée de Jacques de Voraigne.
Je vous mets trois extraits de ce texte à comparer avec le tableau.
Quand Jean annonce aux autres apôtres la mort future de la Vierge, il leur dit ceci :
« Prenez garde, mes frères, à ne point pleurer quand elle sera morte, de peur que le peuple en voyant vos larmes, ne soit troublé et ne se dise : « Ces gens-là prêchent aux autres la résurrection, et, eux-mêmes, ils ont peur de la mort ! »
Au moment de sa mort :
« Or, vers la troisième heure de la nuit, Jésus arriva avec la légion des anges, la troupe des patriarches, l’armée des martyrs, les cohortes des confesseurs et les chœurs des vierges ; et toute cette troupe sainte, rangée devant le trône de Marie, se mit à chanter des cantiques de louanges. »
Au moment de la toilette mortuaire :
«Pendant ce temps, trois vierges, qui se trouvaient là, dévêtirent le corps pour le laver ; mais, aussi longtemps que dura leur travail, le corps brilla d’une telle lumière qu’elles-mêmes qui le touchaient ne parvenaient pas à le voir. »
Note : La couleur cadavérique dépend selon la photo du tableau. Sur la majorité des images que j’ai trouvées elle a bien cette couleur et les documents que j’ai consultés le confirme. Mais la peau de la Vierge correspondait peut-être à la première version ci-dessus au moment où Caravage l’a peinte.
Caravage a donc fait l’inverse de ce qui est écrit.
Les moines de l’Eglise Santa Maria della Scala ont donc surtout refusé le tableau de Caravage car il ne correspondait pas à l’iconographie traditionnelle de la mort de la Vierge.
A la place du tableau de Caravage, le peintre Carlo Saraceni a été chargé de peindre le même sujet. Mais sa première version a été refusée alors qu’elle représentait une mort sans douleur ni tristesse et plein de piété. Il a dû peindre une deuxième version avec des anges l’accueillant au Paradis. Cela montre bien que le refus de l’œuvre de Caravage n’est pas tant dû au réalisme de la scène qu’à la volonté de coller au texte apocryphe.
Est-ce que Caravage a voulu peindre une scène provocante ?
Ça dépend de la façon d’interpréter le tableau.
On peut considérer que Caravage a voulu représenté une scène courante en rajoutant quelques éléments religieux pour pouvoir justifier le titre et ainsi vouloir honorer sa commande.
Et encore, seule l’auréole peut vraiment être prise en compte car le rideau et la lumière n’appartient pas forcément à la symbolique du divin.
Pire, Caravage a pu faire exprès de représenter la Vierge comme une simple mortel en lui donnant une couleur cadavérique, en mettant la bassine en évidence et surtout par rapport à la couleur de la robe.
Marie porte traditionnellement deux couleurs : le bleu représentant le divin et le rouge symbolisant le terrestre.
En lui ôtant le bleu, Caravage supprime la notion de divin et donc l’idée d’Assomption. Il ne reste que le rouge qui rappelle sa condition de mortel.
Avec cette interprétation, La Mort de la Vierge est une provocation évidente.
Mais une autre interprétation est possible quand on apprend qu’il était proche des idées de la Contre-Réforme qui voulait plus de réalisme.
Caravage a pu vouloir donner sa version, une version sans artifice qu’il aurait jugée plus proche des textes.
Celui qui connaît la religion chrétienne a perçu les signes divins, il sait que l’Assomption a déjà eu lieu ou qu’elle ne va pas tarder. Il n’a pas besoin d’ange pour comprendre.
En cachant le sens religieux derrière une représentation réaliste, Caravage a pu vouloir choquer le spectateur ignorant pour le forcer à s’interroger et ainsi découvrir ce qu’est une dormition.
En faisant cela il se conforme une fois de plus aux mesures de la Contre-Réforme insistant sur la fonction didactique des œuvres d’art.
Alors quelle est votre interprétation ? Peinture provocante ou peinture religieuse à but didactique ?
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Toullalan
Publié à 21:37h, 31 marstouslestableaux
Publié à 18:10h, 07 avril