07 Avr Comment regarder un tableau (5/6)
Note : Cet article est une relecture du livre Comment regarder un tableau de Françoise Barbe-Gall paru aux Editions du Chêne, Hachette Livre, en 2008.
Partie 5
Les tableaux présentés dans cette partie sont difficiles à commenter.
Pourquoi ? Parce qu’ils reposent principalement sur la technique. Le sujet est clair. Dès qu’on voit la peinture on comprend de quoi il s’agit. Il n’y a pas d’anomalie ni d’objet symbolique.
La seule analyse faisable est donc celle de la technique. Mais la faire revient à dire ce que tout le monde voit.
Dans ce cas que faire ? J’ai commenté certains détails qu’il faut remarquer mais qu’on peut louper à cause de la simplicité du tableau.
Le plus gros du travail vous revient. Il suffit de se mettre devant le tableau, de bien le regarder.
La méthode d’analyse est tout le temps la même :
1) Quel est le sujet ?
2) Comment les personnages sont agencés ? Pourquoi ? (il n’y a pas toujours de réponse).
3) Comment l’ombre et la lumières sont-elles réparties ?
4) Est-ce que je ressens quelque chose devant l’œuvre. Si oui quoi ? (Notre goût intervient. Tout ne peut pas plaire à tout le monde. Si pour certains les peintures ci-dessous évoquent de nombreuses choses, pour d’autres elles resteront parfaitement hermétiques. Ils ne ressentiront rien devant.)
Dans tous les cas, postez vos analyses en commentaire ? Ça m’intéresse de les connaitre.
La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, Léonard de Vinci
Jésus est sur les genoux de Marie qui est sur ceux de sa mère, Sainte Anne.
Ces personnages représentent trois générations.
Marie et Jésus ont quasiment la même position. Les bras font exactement les mêmes gestes et les jambes sont dans la même position mais inversée. Cette modification permet de casser le parallélisme et donc de rajouter de la vérité à la scène.
Cette similitude de geste permet de rapprocher la Vierge et Jésus. Ils sont également liés par le regard. Tout le monde regarde la vierge, même l’agneau, mais elle ne regarde que son fils.
Le décor est composé de deux parties. La première correspond à l’endroit où se trouvent les personnages. Il est au premier plan. On dirait qu’il s’agit d’une montagne. Il y a des traces d’ombre et de lumière.
La deuxième correspond à l’arrière-plan. Nous voyons des monts. Tout est baigné dans la lumière. On dirait un endroit merveilleux.
L’agneau correspond au sacrifice que l’on fait à Dieu. Dans ce tableau il rappelle le destin du Christ.
Jésus est représenté sous l’aspect d’un enfant. Il veut jouer avec l’animal. La Vierge le prend dans ses bras pour le retirer de l’agneau. Elle sait que son fils mourra et que l’animal représente ce qui va arriver. En éloignant son fils de l’agneau, elle espère que le destin de son fil changera.
Sainte-Anne ne retient pas sa fille. Elle se contente de la regarder. Elle sait que c’est inévitable et que ça doit se produire.
Renaud et Armide, Poussin
Un soldat est endormi. Près de lui se trouve sa coiffe, son bouclier et son épée.
A côté une femme tient une dague. Elle est donc venue pour le tuer. Mais son autre bras se pose délicatement sur celui du soldat. Son visage ne reflète pas la haine mais la tendresse. Sa poitrine dénudée évoque le désir.
Peut-être l’a-t-elle déjà tué ? Mais non un enfant ailé, Cupidon, retient son bras de toutes ses forces. Elle n’a pas encore agi.
Même sans connaitre la légende de Renaud et Armide, le spectateur comprend ce qu’il se passe. L’artiste le montre clairement.
La femme est venue tuer le soldat mais en le voyant endormi elle est tombée amoureuse.
Le moment représenté correspond à celui du passage de la haine à l’amour.
L’auteur explique que cette transformation est également visible dans le décor.
Derrière Armide se trouve un arbre. Il constitue une frontière que la femme est en train de franchir. Sa position par rapport à l’arbre symbolise son changement.
Derrière Renaud il y a deux arbres rapprochés. Ils montrent le double aspect du soldat pour la femme : il est à la fois son ennemi et son amour.
L’arrière-plan montre aussi cette évolution. A gauche, la colline est haute mais elle descend sur la droite. L’inclinaison de la nature suit celui du bras tendu vers le soldat.
Même les vêtements montrent ce changement. La froideur du bleu laisse place au rouge qui symbolise à la fois le sang qui devait être versé et l’amour qu’elle a finalement éprouvé.
Saint Thomas de Villeneuve faisant l’aumône, Murillo
Le saint est le premier personnage que l’on remarque. Son habit noir correspond à la zone la plus obscure du tableau. Sa mitre blanche reflétant la lumière est la partie la plus claire de la peinture. L’évêque réunit donc les deux couleurs les plus opposées. Le contraste qui en ressort permet de le mettre en évidence.
Pendant un moment j’ai imaginé que cette union du blanc et du noir renvoyait à une symbolique du bien et du mal. Mais je ne pense pas. La coule (vêtement à capuchon portait par des moines) noire fait plutôt référence à l’austérité et à la rigueur. Sa mitre fait uniquement référence à son rang.
Je préfère parler d’union des contraires que de contraste. La tenue de Saint Jean n’est pas choquante, elle ne saute pas aux yeux. Pourquoi ? Parce que le peintre a réussi à unir ses couleurs contraires par le clair-obscur. La mitre est située dans la partie la plus claire du tableau. Mais s’il y a de la lumière, de l’ombre entoure aussi le saint. Son visage mélange les deux. S’il a de la lumière sur le haut du visage, la partie basse est plus sombre. Le mélange des deux permet de passer facilement à la couleur beaucoup plus obscur du vêtement. Mais celui-ci est intégré au reste du tableau. Tout ce qui est autour de son vêtement est dans l’ombre.
Sa crosse dorée est symbolique. C’est le berger qui guide les âmes à l’instar du Christ.
Le Saint donne des pièces. Le petit garçon au premier plan vient d’en recevoir, il est heureux et il est fier de montrer les pièces à sa mère. La personne devant le saint va en recevoir. Celui-ci est à genou pour la recevoir. Sa position est soit due à une infirmité comme sa canne et son bandage le laissent supposer, soit c’est un signe de piété. A côté le garçon attend patiemment son tour. L’homme âgé situé derrière ne voit pas combien il a reçu. La femme grimace. Elle n’a peut-être pas encore rien eu.
Tous les âges sont représentés, ce qui montre que le Saint donne à tous.
Ici c’est la charité du Saint qui est mise en avant.
Ce tableau renvoie au contexte historique. Au XVIIe siècle, Séville est touché par la famine et la peste. Ceux qui sont atteints par ces maux ne peuvent compter que sur l’aide de l’Eglise.
Il renvoie également et surtout au contexte religieux. Pour lutter contre la Réforme protestante, l’église catholique crée la Contre-Réforme. Dans le programme mis au point, la charité a une place prépondérante. C’est pour cela que la vie des Saints est souvent représentée.
Mais nous identifions facilement le thème du tableau même sans connaissance du contexte. Il s’agit de la Charité Catholique. Tout le reste n’est que technique, notamment avec la répartition de l’ombre et de la lumière.
Trois pommes d’api, deux châtaignes, une écuelle et un gobelet d’argent, Chardin
Il s’agit d’une nature morte. Ce qu’il y a à voir est dit dans le titre et c’est tout. C’est simplement ça. Il n’y a pas d’interprétation à avoir. Il ne s’agit pas d’une vanité, il n’y a pas d’allusion au passage du temps, la pomme ne renvoie pas au fruit défendu.
Les objets peints sont ceux du quotidien. Il n’y a pas de symbolique.
L’analyse se fait uniquement sur le plan technique.
Le mur est d’une couleur étrange. Il s’agit de nuances de vert, ou plutôt de vert clair à droite et de vert foncé à gauche.
Les pommes aussi sont bizarres. La couleur argentée est surprenante.
Les deux châtaignes ressemblent à des blocs marrons avec une pointe de couleur brillante qui rappelle celle des pommes.
L’écueil et la table deviennent irréels par rapport à leurs couleurs. Ils reprennent toutes celles du tableau. Ils sont composés de vert, de rouge, de brun.
Dans ce tableau chaque objet reprend des couleurs de ceux situés à côté, ce qui fait que nous passons facilement de l’un à l’autre. Les éléments ne sont pas disparates mais en harmonie grâce à la couleur.
Nymphéas, Monet
Nous ignorons où se situe le lieu représenté. Nous ne sommes même pas sûrs de ce que nous regardons.
Une partie du tableau est occupée par le bleu de l’eau, et l’autre par le vert du pré.
La frontière entre les deux est floutée par ce qui semble de la buée. Celle-ci permet d’unir les deux parties.
Elle semble s’échapper de l’eau pour envahir le pré. Mais elle n’y parvient que partiellement.
A droite un morceau de vert est encore bien présent.
A gauche, le blanc permet la transition en atténuant le vert et en assombrissant le bleu.
Mais qu’est-ce-que ce blanc ? De la vapeur qui s’élève ? Du brouillard ? Dans l’eau il n’y a que cette fumée ou aussi le reflet des nuages ? On ne sait pas ce que c’est. Sa présence irréelle donne une dimension onirique au tableau.
D’ailleurs ce que nous voyons existe-t-il ? Il n’y a aucun moyen se situer le lieu. Il n’y a que du paysage. Le cadrage est serré. Nous ne voyons que le côtoiement de la mer et de la terre. Il s’agirait donc d’un lieu inventé.
Mais il peut s’agir d’un paysage réel. L’auteur explique qu’il s’agit du jardin de l’auteur quand il s’est installé à Giverny.
La réponse est peut-être entre les deux. Il s’agit d’un lieu réel que le peintre a représenté à partir de son tempérament. Il ne s’agit pas d’une photo. Ce paysage existe mais uniquement par les yeux de l’artiste.
L’Ocre, Mark Rothko
Il s’agit d’un espace vertical rouge sur lequel est peint un carré ocre et un rectangle rouge.
Ce tableau ne montre rien. Il n’y a pas de figure, pas d’objet, pas de paysage.
Il n’y a aucun élément symbolique.
Ce genre de peinture ne fait pas appel à la raison mais aux sentiments. Une fois devant, nous n’avons rien à chercher, il faut juste s’ouvrir à ce que nous voyons. Nos émotions et notre imagination sont les seuls moyens d’analyse.
Mon commentaire sera donc subjectif.
Pourquoi ces couleurs ? L’artiste aurait pu en choisir d’autre. Il faut se laisser aller aux émotions quelles éveillent en nous comme l’explique Kandinsky. Le rouge m’évoque la passion, la fougue, la vivacité, la lumière. L’ocre me rappelle également la lumière mais elle est plus calme que l’autre.
Ces deux couleurs sont en harmonie. Le rectangle rouge met l’ocre en valeur. Il le rend plus visibles. Ce grand espace ocre contrebalance le rouge et le rend moins vif. Les bandes rouges qui servent de décor permettent aussi de les unir. Elles renforcent la visibilité de l’ocre et elles réduisent la puissance du rectangle en diffusant la couleur partout dans le tableau. Si le fond avait été blanc, le rectangle aurait accaparé notre regard. Là les couleurs des deux formes géométriques sont mises à égalité.
La première fois que j’ai regardé ce tableau, l’ocre m’évoquait le soleil qui se couche et le rouge les couleurs qui l’entourent. Pour moi il s’agissait donc d’un couché de soleil représenté de manière géométrique.
En continuant à le regarder, une deuxième idée m’est venue.
Les deux formes géométriques sont peut-être des tableau xqui seraient vides. Ils ne montreraient que le fond, le décor. Peut-être est-ce à nous d’imaginer ce que nous voulons. L’artiste nous a préparé l’espace de création, il ne tient qu’à nous de le remplir.
Ce n’est peut-être pas forcément quelque chose à peindre mais à écrire. Les nuances de jaunes me font penser à un parchemin.
Nous sommes aussi peut-être devant du non-visible. L’ocre et le rectangle rouge correspondraient à des tissus mis sur des toiles pour les cacher.
Cette interprétation est plausible au regard de la vie de l’artiste. Celui-ci a fréquenté l’école talmudique. Même s’il délaisse la religion il peut se rappeler de manifestations divines : le voile qui signale la présence de Dieu mais qui le cache en même temps (le carré ocre), son apparition sous forme de lumière ou de feu (les deux couleurs utilisées).
Mais connaitre la vie du peintre n’est pas nécessaire.
Je rappelle qu’il s’agit d’une analyse personnelle puisqu’elle dépend de mon caractère. Il est donc fort probable que vous n’ayez pas la même vision que moi de cette œuvre.
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