16 Mar Histoires de peinture (4/4)
Partie IV
V Réflexions sur la peinture
Dans cette partie j’ai mis les réflexions que Daniel Arasse développe peu. Elles correspondent soit à un chapitre très court soit à un passage dans un chapitre.
1) De la mémoire à la rhétorique
Certaines « images de l’art » sont inspirées d’un système de mémoire.
Le meilleur exemple est la fresque du Triomphe de Saint Thomas. Elle a été réalisée en mémoire de Saint Thomas. Elle rappelle les fondements de sa gloire et toutes ses vertus.
Mais ce n’est pas le seul. De nombreuses images picturales sont inspirées de structures mnémoniques.
Quand l’encre et le papier n’existaient pas comment faisaient les orateurs pour se souvenir de leur discours ? Ou une personne lambda de ce qu’elle doit acheter au marché ?
Il suffisait d’imaginer un bâtiment, fictif ou non. Dans celui-ci on met à certains endroits des « imagines agentes », c’est-à-dire des images frappantes qui permettent de se rappeler ce que l’on doit dire.
Mais ce système de représentation picturale évolue entre le Moyen-Âge et la Renaissance.
Le Moyen Âge repose sur le système de mémoire que nous venons d’évoquer. Il s’agit de lieux juxtaposés avec des images fixes à un endroit précis. Le polyptique correspond exactement à un « bâtiment de mémoire » : il y a des images dans des lieux précis. Le lieu de l’image est important car il en modifie le sens.
A la Renaissance, il n’y a plus qu’un seul lieu et les figures se déplacent. La peinture devient donc unité de lieu et de mouvement.
Pourquoi ce renversement ? Parce que le but de la peinture a changé. A la Renaissance la peinture ne sert plus à se rappeler quelque chose mais à convaincre et émouvoir le spectateur.
La peinture que Daniel Arasse appelle « rhétorique » correspond à une représentation réaliste, capable de persuader le spectateur que ça s’est vraiment passé comme ce qu’on voit, afin de l’émouvoir.
Pour illustrer cela prenons comme l’exemple le thème de la Dernière Cène, qui est le repas du Christ avec ses douze apôtres.
Traditionnellement aux XIVe et XVe siècles on représenté le Christ avec onze apôtres d’un côté et Judas de l’autre. Le but de cette représentation n’est pas d’être vraisemblable. Elle sert à rappeler que Judas a trahi le Christ.
Léonard de Vinci est le premier peintre à montrer Judas mélangé aux autres. Et dans cette peinture tout devient mouvement. Les apôtres s’agitent. Le mouvement est ce qui permet de persuader le spectateur de la réalité du tableau.
Comprendre qu’on est passé « de la mémoire à la rhétorique », permet de mieux comprendre la peinture du XIVe et du XVe siècle.
A propos de la Maesta de Duccio, des spécialistes ont parlé « d’aberration », de « naïveté » et de « contradiction ». Mais c’est parce qu’ils ont pris la rhétorique comme critère au lieu de la mémoire.
2) Le maniérisme
Daniel Arasse considère le maniérisme comme « une forme d’apothéose de la Renaissance ».
D’où vient le terme de maniérisme ?
Le mot a été créé au XVIIIe siècle par Luigi Lanzi dans Histoire de la peinture italienne.
Il s’agit d’un terme péjoratif contre les peintres qui préfèrent « l’artifice » et la « convention » au détriment de la « vérité de l’imitation ».
Ainsi au XVIe des vénitiens attaquent l’art de Michel-Ange, qui est une peinture de manière qui n’a plus la vérité de nature.
Mais dire que le maniérisme est un art artificiel n’est pas suffisant. Il faut comprendre comment on est arrivé à ce style pictural.
Prenons l’exemple de la Déposition de Pontormo. Ce tableau est rempli de paradoxes ce qui en fait une représentation artificielle. Le plus parlant est l’absence de croix et d’échelle alors qu’il s’agit d’une déposition. Mais si on s’arrête à ce constat on ne comprend pas la raison de cet artifice.
Le tableau est de 1527 ce qui correspond au moment du sac de Rome. C’est également la période du schisme protestant. L’artifice est une réponse à la crise.
Le véritable sujet du tableau est l’adieu de la Vierge au Christ. Le tableau appelle le spectateur à participer à cet adieu.
Marie-Madeleine est le personnage qui nous permet de rentrer dans le tableau. Elle est de dos et sa main qui tient le tissu est au centre du tableau. Elle montre l’attitude que le spectateur doit avoir devant le Christ.
Le maniérisme est un glissement du « quoi », c’est-à-dire du sujet de la représentation, au « comment », la manière de le représenter.
Ce glissement est particulièrement visible avec Raphael. Dans la Chambre de la Signature, avec des peintures comme L’Ecole d’Athènes et la Dispute du Saint Sacrement, il apparait comme le peintre classique par excellence.
Mais quatre ans plus tard il crée un « chef-d’œuvre d’art di maniera » avec l’Incendie du bourg. (Cette oeuvre se trouve dans la Chambre de l’Incendie qui est à côté de celle de la Signature).
Le sujet de cette peinture, le pape qui arrête miraculeusement l’incendie, passe au second plan, « en minuscule ».
Le premier plan représente l’agitation, « le drame humain des gens tentant d’éteindre l’incendie ».
Mais les personnages sont représentés de manière artificielle. Il y a ainsi une « canéphore » avec un panier sur la tête et qui marche avec élégance. Il y a aussi un personnage qui porte son père sur le dos et qui tient son frère par la main, ce qui rappelle Enée fuyant Troie en flamme.
L’artificialité est due à la désillusion de la Renaissance. Ce n’est plus l’époque de la grandeur retrouvée mais une ère de crises :
– Crise religieuse : il y a le concile schismatique de Pise et le schisme protestant qui provoque le concile de Trente.
– Crise politique : L’Italie n’est plus le « centre du monde ». Les Etats les plus puissants sont désormais la France, l’Espagne et l’Angleterre.
– Crise économique : l’or qui arrive d’Amérique perturbe le commerce européen.
– Crise scientifique : L’ordre de l’univers est remis en question par la révolution copernicienne et les croyances sur l’anatomie du corps sont perturbées par le livre de Vésale.
Le maniérisme exprime donc ces crises et les incertitudes qu’elles provoquent. Les artistes jouent avec ça, peut être pour en « exorciser le caractère inquiétant ».
En utilisant l’artifice, les peintres de cette époque créent la « théorie moderne de l’art ». Il ne sert plus à imiter la nature, à montrer le vrai, mais à exprimer les idées de l’artiste.
3) Vermeer
Daniel Arasse explique que Vermeer utilise la camera obscura. Il convient donc d’expliquer ce que c’est.
Cela se traduit par chambre obscure ou chambre noire. Il s’agit d’une chambre ou d’une boîte noire avec un trou sur l’une des parois. Il faut ensuite mettre une feuille dans cette boîte. Les objets extérieurs, par un phénomène lumineux, se reflètent sur la feuille.
Léonard de Vinci expose le principe : « En laissant les images des objets éclairés pénétrer par un petit trou dans une chambre très obscure tu intercepteras alors ces images sur une feuille blanche placée dans cette chambre. […] mais ils seront plus petits et renversés. »
Ce système sera amélioré en remplaçant le trou par une lentille afin d’avoir des images plus nettes. Un miroir sera aussi ajouté dans la boîte. L’image du dehors se reflète sur le miroir qui la reflète à son tour sur un écran plat. Le peintre n’a plus qu’à reproduire l’image.
C’est ce qui donnera plus tard l’appareil photo.
L’auteur explique que ce procédé a pour avantage « d’avoir déjà représenté en deux dimensions ce qu’on veut peindre ».
Ce système était utilisé en Hollande dès le XVIe siècle.
Vermeer s’en est donc servi, mais il l’a fait de manière inhabituelle. Il l’utilise « pour en représenter les effets de manière déplacée ». La lumière doit être projetée sur une surface brillante et réfléchissante pour créer des tâches lumineuse. Mais le peintre les représente dans des endroits où elles ne peuvent pas être.
Dans La laitière, il y a ainsi des tâches lumineuses sur les miches de pain.
L’auteur conclut : « Donc, il n’y a aucun réalisme dans son emploi de la chambre noire », ce qui est paradoxal puisque ce système a été inventé pour augmenter le réalisme.
Il explique ensuite l’originalité de Vermeer. Elle ne vient pas du choix du sujet puisque tous les thèmes qu’il représente sont courants dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Son originalité réside dans l’exécution du sujet.
Une particularité de sa peinture est d’interposer un obstacle entre le spectateur et la figure peinte. Le regard du public butte donc contre un tapis, une table ou une chaise avant d’atteindre l’objet principal du tableau.
Mais pourquoi fait-il cela ?
Le peintre représente des scènes d’intérieur. Il peut y avoir des fenêtres ouvertes mais on ne voit jamais l’extérieur. Il n’y a donc pas d’opposition entre l’intérieur et l’extérieur. Chez Vermeer l’opposition se fait entre l’intimité et le privé. L’objet-obstacle est ce qui fait passer de l’un à l’autre.
Mais « cette intimité est présentée à la fois comme extrêmement proche et absolument inatteignable » à cause de la perspective.
La ligne d’horizon géométrique, qui correspond à l’œil du spectateur, est toujours un peu plus basse que le niveau de l’œil de la figure. Nous sommes donc près d’elle mais décalés.
Dans La Dentellière, nous regardons la même chose que le personnage : le fil. Mais notre regard étant plus bas que le sien, on ne voit pas ce qu’elle fait. On ne verra donc jamais « la dentelle qu’est en train de faire la dentellière ».
Daniel Arasse donne un deuxième exemple, celui de La Liseuse.
La table avec le tapis et le panier de fruits font obstacle. Il y a ensuite un rideau vert qui est tiré jusqu’à « l’endroit très précis du point de fuite de la construction géométrique ». Le point de fuite correspond à la position du regard du spectateur. Nous sommes donc devant ce rideau tiré qui montre que nous ne voyons pas tout. Nous sommes face à du caché.
4) L’art contemporain
Daniel Arasse n’arrive pas à trouver de définition à l’art contemporain. Celui-ci lui pose même certaines problématiques : « Quand l’art actuel devient-il contemporain ? Et quand l’art contemporain devient-il moderne ? ».
Malgré ces questions il est intéressé par la période actuelle notamment parce qu’elle permet de parler à l’artiste. Il s’y intéresse également à cause d’un paradoxe. Les pratiques artistiques et les supports artistiques se multiplient mais il y a en même temps une « fragilisation du système des beaux-arts ». La peinture n’a plus le prestige d’antan.
Les théories contemporaines ont rompu avec les concepts classiques. Peut-on encore parler de « d’imitation » d’ « expression » et de « style » à notre époque ? Si oui comment ces notions ont-elles évolué ? Maintenant « on préfère le processus de création à l’œuvre elle-même ».
Daniel Arasse commente l’art contemporain mais à partir des concepts classiques qu’il maîtrise. Pour parler de la série de photos d’Andres Serrano intitulée Morgue, il reprend l’idée de « venustas », « cette beauté vénusienne de la vie qui court sous la peau ». Pour Cindy Sherman, il parle du « Narcisse d’Alberti ». Pour Anselm Kiefer il parle des « bâtiments de mémoire ».
Conclusion
Dans ce livre, l’auteur livre encore des réflexions intéressantes et des analyses de tableau passionnantes.
L’écriture est simple et parfois humoristique ce qui permet une lecture agréable.
Daniel Arasse est un auteur que je conseille à tout le monde mais surtout aux néophytes. C’est une excellente porte d’entrée pour entrer dans le monde de la peinture.
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