24 Jan Le Jardin des délices, Jérôme Bosch
Le tableau aux 100 000 interprétations
Ce tableau est d’une telle originalité que j’ai voulu le commenter.
Mais je me suis vite senti désemparé.
3 panneaux, plus une autre peinture qui apparaît quand on les referme, des paysages merveilleux, des êtres fantastiques, des hommes et des femmes, en haut en bas, des choses surréalistes ….
Je ne savais pas par où commencer.
J’adorais contempler tout ce qui composait ces mondes fascinants, mais je ne trouvais pas de sens.
Complètement perdu, j’ai essayé de trouver des réponses chez ceux qui l’ont déjà analysé.
Ma désorientation fut encore plus profonde.
Ils avaient tous des interprétations intéressantes mais différentes. Je ne pouvais pas en lire une sans trouver son contraire.
Face à la multitude de sens donné au Jardin des Délices, certains critiques sont même arrivés à une conclusion surprenante : si cette œuvre peut tout dire et son contraire, c’est qu’elle n’a pas de sens.
J’ai donc voulu abandonner. Mais je me suis dit : « Si tu n’y arrives pas, envisage le sous un autre angle ».
C’est ce que j’ai fait et j’ai compris quelque chose de très important.
Ce qui fait la puissance d’un tableau, c’est les multiples interprétations qu’on peut en faire.
Le but d’une analyse n’est pas d’être sûr de ce que l’artiste a voulu dire, mais de dire ce que nous, spectateurs, voyons.
Pour pouvoir en donner une interprétation personnelle, il faut projeter sa personnalité, son imagination et sa culture sur le tableau.
La force d’un tableau se fait donc par sa réappropriation par le spectateur.
Je vais donc vous présenter cette œuvre des plus intéressantes. Mais je vais le faire brièvement, en montrant des différences d’interprétation. Je donnerai aussi des liens pour ceux qui veulent en savoir plus sur le Jardin des Délices, ou sur Jérôme Bosch.
(Pour voir le retable en très grand format cliquez-ici).
Le Jardin des Délices
C’est un retable en forme de triptyque réalisé par Jérôme Bosch entre 1503 et 1510.
Il est actuellement au musée du Prado à Madrid.
Quand il est fermé nous voyons la création du monde.
La terre est une demi-sphère recouverte par la coupole du ciel.
La lumière illumine la moitié gauche, ce qui montre que la terre est en train d’être créée.
En haut à gauche il y a dieu.
Près de lui se trouve l’inscription : « Ipse dixit et facta sunt » et en haut du volet droit « Ipse mandavit et creata sunt », ce qui se traduit ainsi : « Lui parle, ceci est. Lui commande, ceci existe ».
Ces paroles rappellent celle de la Genèse lorsqu’il est écrit : « que la lumière soit et la lumière fut ».
Le moment représenté correspond à la fin du troisième jour. C’est la fin du déluge, la terre et la mer sont séparées et les végétaux commencent à apparaitre.
Une fois le triptyque ouvert, les divergences commencent.
Le sens général
Pour certains le triptyque fonctionne comme tous ceux de l’époque.
Le premier panneau montre le péché originel, le second montre les errements de ceux qui se sont éloignés de la parole de dieu, le troisième représente l’Enfer qui les attend.
L’ensemble a pour but de pousser celui qui le contemple à la dévotion.
Pour d’autres il représenterait le paradis, la vie sans le péché originel, l’enfer.
Analysons les panneaux séparément pour voir ce qu’il en est.
Le paradis
Représente-t-il le péché originel ?
Le meilleur moyen de répondre à cette question est de comparer ce tableau, au premier panneau d’un autre triptyque de Bosch, Le Charriot de Foin.
Celui-ci se divise en quatre actions :
– les anges déchus qui tombent du ciel
– Adam et Eve recevant les commandements de Dieu
– le serpent tentateur à tête humain qui propose une pomme au couple
– l’ange Gabriel qui les expulse du paradis.
Celui que nous étudions montre :
– Un paysage calme et merveilleux
– Adam et Eve jeunes et innocents
– Un dieu, jeune lui aussi, qui les unit
– Pas de signe de tentation, de culpabilité ni de Chute.
Bosch ne représente donc pas la Faute.
S’il avait voulu le faire, il l’aurait fait. Il sait le faire et nous l’a prouvé.
L’action se passe sous l’arbre de vie.
L’arbre de la connaissance du bien et du mal et le serpent sont éloignés.
Le moment représenté serait plutôt celui où Dieu présente Eve à Adam.
(Certains disent qu’il s’agit de Jésus mais cela me parait incohérent).
Dieu a une apparence jeune. Il ne correspond pas à l’image du vieux barbu qu’on se fait.
Certains se demandent pourquoi l’avoir représenté ainsi.
Pour moi, la vieillesse symbolise la sagesse acquise par l’expérience. Ici ça n’a pas de sens. Dieu est représenté jeune pour rappeler qu’il s’agit du commencement, de la Genèse. Là c’est un dieu vigoureux, il est dans l’action, dans la création.
Mais la question n’est pas « Pourquoi il est jeune » mais « Pourquoi il est là ».
Dieu semble regarder le spectateur. Il veut nous interpeller pour dire quelque chose d’important, sa main nous le confirme.
Quand j’ai vu ça, je suis retourné lire la bible. Je croyais que Dieu avait parlé à Adam après la création de la femme mais ce n’est pas le cas.
« Et l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, et il s’endormit; et il prit une de ses côtes, et il referma la chair à sa place.
Et l’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et l’amena vers l’homme.
Et l’homme dit : Cette fois, celle-ci est os de mes os et chair de ma chair; celle-ci sera appelée femme, parce qu’elle a été prise de l’homme
C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. »
Dieu tient Eve par le poignet et touche Adam du pied.
Ils sont donc reliés par son intermédiaire.
Le peintre l’a rajouté pour donner une mise en garde aux personnages et au public.
« Attention à ce qui se jouer dans les approches de l’homme et de la femme, cela requiert sagesse et vigilance » ou « Ce contact physique doit être médiatisé par la divinité ».
(Extrait du Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch : le secret du futur, Guy-Claude.)
Charles de Tolnay voit dans leur expression innocente le masque de la séduction et de la perversité.
Je ne sais pas pourquoi il dit cela. Ils viennent d’être créés, ils ignorent ce qui est bien ou mal et les éléments négatifs sont éloignés des personnages.
Fraenger voit plutôt dans l’union de ces trois figures l’institution divine du mariage.
Je partage son avis.
Le panneau central
C’est ce panneau qui a donné le nom à l’œuvre.
Cette partie montrerait les hommes après la Chute.
Eloignés de dieu, ils se livrent à des actes pervers qui les vouent à l’enfer.
Il y a des corps nus dans des positions obscènes.
Les animaux servent à rappeler les pulsions bestiales de l’homme. Ils symbolisent donc les vices.
Des rapprochements contre-nature entre les hommes et les animaux sont sous-entendus.
Certains mangent des fruits qui rappellent le fruit défendu.
La chouette a voulu faire un photobomb
Ils les prennent volontairement, pas besoin de serpent tentateur, et les croquent à pleine dent.
Cette référence montre qu’ils sont au comble de la perversité.
Ils se délectent de ce fruit délicieux mais défendu. Ils n’hésitent pas à braver l’interdit et à se moquer des conséquences pour assouvir leur plaisir.
Cela signifie aussi qu’ils ont conscience de leur nudité et de leur dépravation. Mais ils n’affichent aucune honte, aucune culpabilité, ils continuent leurs pratiques.
Les fruits qui se font manger symbolisent l’acte sexuel. Si certaines scènes évoquent le plaisir solitaire, d’autres scènes représentent l’orgie.
Même la prostitution est représentée. Des hommes constituent une file devant la tente. Ils parlent avec le maquereau avant de monter là où les femmes les attendent.
Ce panneau annonce la chute en enfer.
Dans la partie supérieure du tableau, les humains sont organisés par rapport à la fontaine, notamment avec la ronde.
Le premier plan donne au contraire une idée de chaos. Les humains sont partout, sans ordre, et dans toutes les positions.
Ce passage de l’ordre au désordre qui se fait du haut vers le bas montre que la prochaine étape c’est le dernier panneau.
L’image de l’homme avec le tube et le rat évoque la torture et les souffrances de l’enfer.
Cette interprétation est possible mais est-ce la bonne ?
N’est elle pas une vision pessimiste du tableau ?
Les fruits sont peut être que des fruits. Ils seraient là pour montrer que nature nourrit l’homme.
Les rapprochements entre humains et animaux ne sont peut-être que des rapprochements. Ils serviraient à montrer l’union de l’homme avec la nature.
Les actes sexuels évoqués ne représentent peut-être pas la débauche. Ils feraient l’amour, un acte sans pensées perverses.
Je n’ai pas la réponse mais je vais vous présenter une deuxième interprétation.
Avant d’en parler, revenons à la bible.
Après qu’Adam et Eve aient mangé le fruit défendu, ils réalisent qu’ils sont nus. Ils se vêtissent alors de feuilles de vigne et se cachent, honteux, quand dieu les appelle. (Genèse, verset 3, chapitre 7 à 10).
Mais là, personne ne cache sa nudité, personne n’a honte et il n’y a pas de trace de figuier.
Ce tableau montrerait donc la vie des hommes si Adam et Eve n’avaient pas consommé le fruit de la connaissance du bien et du mal.
Pour la seconde interprétation on va utiliser l’analyse de Fraenger.
Pour lui ce tableau a été fait pour un culte hérétique : l’adamisme.
Cette secte a voulu montrer leurs pratiques et leurs théories sans qu’elles ne soient comprises par les autres.
La difficulté du tableau les protège donc de la torture et de la mort. Seuls les initiés peuvent comprendre les symboles et percer l’hermétisme de l’œuvre.
Le panneau central et dans la continuité du premier, ils ont la même ligne d’horizon.
Ce tableau montre donc un paradis terrestre. C’est la vie des hommes sans le péché originel.
« Il n’y a aucune honte dans ces enfants d’Adam et Eve, il y a une célébration d’un culte érotique qui prend des proportions cosmiques : sur terre, dans l’eau, dans l’air, des courants érotiques de couples peuplent la matière. On est en pleine célébration, les Adamites (enfants d’Adam et Eve) sont réconciliés avec la Création, et donc avec le Créateur lui-même. »
(J’ai cité un article du blog viveztransemutants qui est vraiment très intéressant. J’ai mis le lien à la fin de l’article)
Encore une fois que voir : antichambre des enfers ou paradis terrestre ?
L’enfer
Du noir, du feu, des tortures, de la souffrance, c’est bien l’enfer.
L’Enfer ou des enfers ?
A droite de l’homme au corps en forme d’œuf brisé se trouve l’enfer militaire.
Un soldat se fait déchiqueter, d’autres se font transpercer par des épées et d’autres sont dans un objet où ils ont l’air de souffrir puisqu’un homme essaye de s’enfuir.
Cet enfer militaire est soutenu par une amphore et un grand couteau. Le soldat déchiqueté est sur une table et il tient fermement un verre dans sa main.
Ces éléments semblent représenter la gloutonnerie et l’ivrognerie.
Les excès de la table sont donc condamnables. ( Mais pourquoi les avoir relié aux soldats ? )
Il y a également l’enfer des musiciens.
Les instruments de musique, devenus des instruments de torture, sont regroupés au même endroit :
– Un homme qui se fait sodomisé par un bâton tourne la manivelle d’une chifonie (aussi appelé vielle à roue)
– Un autre est accroché au manche d’un luth
– Un autre est empalé sur une corde de harpe
– Ces deux instruments sont encastrés et écrasent des gens
– Un autre est coincé dans la buisine et semble prendre feu
– Cet instrument est retenu avec difficulté par un homme qui a une flute dans les fesses
– Un homme est coincé dans un tambour
– D’autres se bouchent les oreilles, ils ne supportent plus les bruits de ces instruments.
– Plus léger, il y a livre de partition, et un homme qui en a une de marquer sur les fesses.
Bosch s’est sacrément fait plaisir sur cette partie.
(Cliquez ici pour entendre la partition inscrite sur les fesses du torturé )
Il y a également l’enfer des joueurs situé dans le bas gauche.
Nous le reconnaissons grâce aux dés, aux cartes et au jeu de backgammon.
Il y a aussi l’enfer des hérétiques.
Les hommes qui commandent ont des habits semblables à ceux des prêtres.
La clef dans laquelle un homme git peut faire référence aux clefs du royaume des cieux que Jésus remet à Saint Pierre.
==> Tu as voulu ébranler les fondements de l’Eglise, et bien meurt en son sein.
La cloche enfoncée sur la tête d’un autre est tenue par un démon.
==> En prônant tes idées tu t’es éloigné de dieu, alors sois commandé par le démon et souffre.
Le crâne d’animal rappelle l’endroit où Jésus a été crucifié. (Il est mort à Golgotha qui signifie étymologiquement « le crâne »).
Le crâne d’homme, présent dans les tableaux de crucifixions, rappelle la mort de Jésus et donc ce qu’elle signifie. Là, le crâne humain est remplacé par celui d’une bête, ou peut-être même de LA Bête, c’est-à-dire Satan.
==> Tu as déformé les propos de dieu alors reste avec tes déformations. Au lieu de reposer en paix (crâne de Jésus, symbolique de la crucifixion) passe l’éternité dans l’horreur (crâne du tableau = crâne de la bête, de Satan).
Mais est-il sensé de diviser ce lieu en plusieurs enfers ?
Si c’est le cas, chaque élément de ce volet doit correspondre à un groupe qui a le même péché.
Mais quel vice ceux qui sont sur le lac gelé ont pu commettre ? Ou ceux qui se font avaler par l’oiseau avant de se faire déféquer ?
Je n’ai pas de réponse. (Si vous avez une explication, dites le en commentaire 🙂 ! )
Jérôme Bosch ne représente peut-être pas l’enfer mais la réalité de manière symbolique.
Le lac gelé avec ses canots peuvent rappeller les paysages flamands. Mais les joies du patinage sont devenues des scènes diaboliques.
Le haut du tableau fait-il référence à la peste qui ravage l’Europe depuis plusieurs années ?
Jérôme Bosch avait-il anticipé les guerres de religion ? Ou la guerre de dépendance de la Hollande ?
Le soldat qui se fait déchiqueter et les moines qui torturent sont-ils des images de l’inquisition ?
Le cochon habillé en religieuse qui importune un homme fait-il référence aux abus de l’église ?
Conclusion
Cette fois je n’ai pas fait un commentaire à partir de ma propre analyse.
J’ai voulu montrer qu’un tableau pouvait avoir plusieurs interprétations qui peuvent se contredire mais qui sont toujours possibles.
En lisant ces commentaires et en regardant le tableau, il m’est arrivé de ne pas voir la même chose.
J’ai donc rajouté mes idées.
Le Jardin des Délices étant une œuvre très complexe je n’ai pas pu parler de tout.
Si voulez en apprendre davantage je conseils les liens suivants :
– La vidéo de N’ART qui permet de mieux connaitre Jérôme Bosch et ses œuvres. J’aime particulièrement sa conclusion pour le Jardin des Délices.
Profitez-en pour regarder ces autres vidéos. Elles sont divertissantes ET intéressantes :).
– L’article du blog viveztransemutants : un article vraiment complet qui synthétise de manière très claire l’interprétation adamiste.
– L’article du blog peintre-analyse : les peintures sont présentées de manière ludique et les analyses sont très intéressantes.
– L’article du blog lecoindelenigme : il présente une analyse poussée du Jardin des Délices.
– Le livre Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch : le secret du futur écrit par Guy-Claude. J’ai mis un lien vers google books. Même si le livre n’apparait pas au complet, une grande partie est consultable.
– La vidéo d’Arte qui explique de manière synthétique les différentes interprétations du retable.
Jérome Bosch – Le jardin des délices par MickeyKuyo
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L’avez vous lu ?
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