Histoires de peintures, Daniel Arasse (2/4) -
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Histoires de peintures, Daniel Arasse (2/4)

Chambre des époux

Histoires de peintures, Daniel Arasse (2/4)

Partie II

 

II) L’iconographie selon Daniel Arasse

 

L’auteur définie l’iconographie comme une technique qui « consiste à identifier un personnage ou un thème à travers un certain nombre d’objets ».

Daniel Arasse reprend un exemple de Panofsky : la distinction entre Judith qui décapite Holopherne et Salomé qui réclame la tête de Saint Jean-Baptiste. Comment les distinguer alors qu’elles ont toutes les deux une tête présentée sur un plat ? Parce que dans les tableaux de Judith il y a une épée et il n’y en a pas dans ceux de Salomé.

La connaissance des attributs des personnages permet donc de reconnaitre le sujet du tableau.

 

L’iconographie est aussi utilisée en peinture religieuse.

Je pensais que la peinture servait à instruire les gens, notamment au Moyen Âge, quand les gens ne savaient pas lire ni écrire. Mais une expérience de l’auteur a modifié cette pensée. Une de ses élèves a décrit un tableau religieux sans en connaitre les codes. En ignorant le passage de la bible auquel se référait le tableau, elle n’a pas compris qui étaient les personnages ni ce qu’ils faisaient. L’image est devenue un « rebus » pour elle.

La peinture ne permet donc pas d’apprendre quelque chose mais de se rappeler une chose apprise grâce à l’iconographie.

 

L’iconographie peut aussi se faire à partir d’association d’idées.

Elle ne repose pas seulement sur une compréhension du thème à partir d’une analyse des objets représentés. C’est pour cela que certains tableaux mélangent les thèmes de Judith et de Salomé. Il s’agit alors d’une « condensation ».

Il faut donc chercher « quelle association était possible et vraisemblable dans les conditions sociales et historiques de production ».

Un tableau de Véronèse a changé plusieurs fois de titre au cours du temps. Un coup il s’appelait Bethsabée et David, un coup Suzanne et les vieillards. La première histoire débouche sur un adultère. Dans la seconde il s’agit d’une femme faussement accusée d’adultère. Pourquoi le titre change-t-il alors que les deux histoires sont différentes ?

Parce que l’auteur a mélangé les éléments de représentation de ces deux thèmes. Il a condensé les deux sujets.

Habituellement dans le thème de Suzanne, il y a plusieurs vieillards. Là il n’y en a qu’un. Il s’agit donc de Bethsabée. Mais traditionnellement David n’est pas représenté vieux et il ne vient pas à Bethsabée, il lui envoie un messager. Il s’agit donc de Suzanne.

 

Mais  l’iconographie a un point négatif : elle tend à présenter tous les détails comme normaux alors qu’ils sont source de questionnement. Ce qui est intéressant est, au contraire, de dire que ce n’est pas normal et de rechercher les causes de ces anomalies. Elle ne fait « qu’épeler le tableau et ne pourra jamais l’interpréter »

 

III) Le détail pour Daniel Arasse

 

1) La recherche du détail

 

 

Ce qui intéresse Daniel Arasse dans la peinture c’est le détail, celui qui s’écarte de l’ensemble et qui contient la signification du tout.

 

Il utilise deux exemples mais je reste dubitatif. Je vais donc vous les présenter et dire ce qui me dérange.

 

Dans La Chambre des Epoux, une pièce du palais ducal de Mantoue décorée par Mantegna, il y a une ouverture fictive dans la voûte. L’auteur voit, parmi les personnages peints, neuf angelots également répartis.

Au bout d’un moment il s’aperçoit qu’il y en a un dixième. Mais on ne voit que sa main qui tient une baguette. La baguette serait placée à un point précis de la fresque. Ce point correspondrait à « une diagonale essentielle de toute la salle, puisque la moitié de la salle est peinte avec des textures découvertes, et l’autre avec des textures abaissées ». Cette baguette ferait donc office de frontière entre le « caché » et le « non caché » c’est-à-dire le « dévoilé ».

 

 

Chambre des époux

Chambre des époux, Palazzo Ducale de Mantoue

 

Le problème c’est que je ne vois pas les neufs anges. Je vois bien celui qui tient la baguette mais il penche la moitié de son corps, on ne voit pas que sa main.

(Effectivement je n’avais pas vu l’ange 😳 . Merci à Clara de m’avoir corrigé   🙂  )

 

Je ne peux pas juger de la diagonale de la salle puisque je n’y ai jamais été. Mais par rapport aux photographies de cette chambre des époux je ne vois pas à quoi elle peut correspondre.

 

Le deuxième exemple est le Saint Sébastien d’Antonello de Messine. Le nombril du saint lui apparait comme un œil.

Le peintre a indiqué « l’axe médian du corps » mais il a représenté le nombril légèrement à côté. Daniel Arasse a vu que « de l’autre côté de cet axe il y avait une flèche plantée parallèlement, qui allait en quelque sorte crever le deuxième œil ».

Ce nombril-œil crée un jeu de regard. D’un côté il y a le spectateur qui se retrouve archer. De l’autre il y a cet œil qui nous regarde lorsque l’on vise, donc quand on ne le voit plus.

 

 

Saint Sébastien Messine

Saint Sébastien, Messine

 

Je ne trouve pas que le nombril soit décalé. Pour moi il est là où il doit être. Mais si nous le considérons légèrement décalé, le second œil imaginé par l’auteur ne serait pas à l’endroit où il y a la flèche.

 

Le détail peut être un critère pour juger de la qualité d’un peintre. Ainsi des textes ont fait l’éloge du peintre Stefano pour son tracé de veine. On admirait alors la qualité du détail.

Mais le détail ne doit pas trop fasciner au risque de perdre la vue d’ensemble. A partir du XVIe siècle des textes s’élèvent contre l’accumulation de détail. C’est ce qui à l’époque était appelé la « brevità ».

Il y avait alors les peintres comme Giogione qui restreint les détails, qui ne montre pas tout, et ceux comme Bellini qui représentent avec minutie le moindre détail.

 

Le but est donc de repérer les détails, les anomalies, et d’essayer de comprendre pourquoi elles sont là.

Ne pas avoir de réponse n’est pas grave comme le montre Daniel Arasse montre avec le Portrait de Mme Moitessier peint par Ingres. Il a vu une tâche sur la robe de madame Moitessier au niveau de ses genoux. Il faut savoir qu’elle était considérée comme la plus jolie femme de Paris. Pour l’auteur la tâche représente le « désir du peintre ».

Mais il ne présente pas cette interprétation comme vraie et incontestable. Avant même de la présenter il explique ne pas avoir de réponse à cette tâche.

 

Dans l’article On n’y voit rien, je montrais déjà que l’auteur était à la recherche d’anomalie. Mais je trouve que celles de ce passage ne sont pas très convaincantes. Il y des exemples plus clairs dans a suite du livre.

 

 

2) Les différents genres de détails

 

 

Parler de détails lui rappelle un autre de ses livres : Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture.

 

En étudiant les détails il est parvenu à « une proposition de deux couples de concepts ».

 

Premier couple :

Le détail iconique. On voit quelque chose on le reconnait. Par exemple la mouche dans La Vierge à l’enfant de Crivelli en est un. Dès qu’on la voit on sait que c’est une mouche. Elle représente la pourriture et la mal.

Le détail pictural. C’est « la tache, la coulure ». Dans La Mort D’Hercule de Zurbaran, les flammes sont représentées par des gouttes de peinture. Le détail picturale correspond donc à l’aspect matériel de la représentation.

 

Deuxième couple.

Le particolare. C’est un détail présent dans le tableau. C’est soit une manière de représenter quelque chose, soit un endroit particulier où elle est représentée.

Le dettaglio. Cela implique quelqu’un qui découpe « comme le boucher qui découpe le détail ». L’œil du spectateur coupe lui aussi le tableau. Evidemment il ne le coupe pas physiquement, il isole des parties, il les met en relief. Au début on perçoit l’ensemble. Mais quand on commence à l’étudier, notre regard s’attache à certains éléments. Ce type de détail correspond donc à ce qui attire l’œil du spectateur. Ces détails diffèrent donc d’un spectateur à un autre.

 

Pour simplifier, le particolare est un détail que le peintre a mis dans le tableau alors que le dettaglio vient du spectateur, c’est ce qui accroche son regard.

 

 

3) Etudes de détails

 

La Joconde de Léonard De Vinci

            Si la Joconde est si célèbre c’est parce que tout dans le tableau est étrange, et donc intéressant à analyser.

 

La Joconde Léonard de Vinci

La Joconde, Léonard de Vinci, musée du Louvre

 

Première particularité : sa position fait qu’elle nous fixe. Son corps est peint de façon à ce que le spectateur soit toujours soumis à son regard.

 

Deuxième particularité : son sourire.

La Joconde est le premier tableau à mettre un sourire sur un portrait. (Il y avait L’Homme qui rit d’Antonello mais l’auteur trouve que le sourire ressemble plutôt à une grimace.)

Elle sourit parce que c’est une femme qui a donné naissance à deux garçons et parce qu’elle est comblée d’amour par son mari qui a voulu le montrer dans un tableau fait par De Vinci.

 

Le sourire de la Joconde a une fonction : il permet d’unifier l’arrière-plan.

 

Si on regarde bien, la partie de droite est composée de montagnes et d’un lac en hauteur, dans la partie de droite les éléments sont plus bas. L’union de ces deux lieux est donc impossible car incohérente dans la réalité. Ici elle est rendu possible par le sourire de La Joconde. Il est légèrement plus relevé là où le paysage est en hauteur et il est droit là où le paysage est plat. C’est donc par son sourire que nous passons d’un côté à l’autre de l’arrière-plan.

 

Le sourire est aussi ce qui permet d’introduire la temporalité. Un portrait est toujours une « méditation sur le temps qui passe ». Il symbolise la grâce éphémère. Quand on regarde le tableau d’un bout à l’autre, on passe du « chaos », c’est-à-dire du mélange d’éléments disparates du paysage, à la grâce, puis de nouveau au chaos de l’arrière-plan.

 

Troisième particularité : l’arrière-plan.

Nous venons de le voir le paysage rapproche des éléments qui ne le sont pas dans la nature, c’est ce qui donne l’idée de chaos évoqué par l’auteur.

Mais le paysage peut aussi représenter la « Toscane immémoriale ». L’auteur rapproche cet arrière-plan d’une prise de vue faite par De Vinci de la Toscane. Le peintre se demande comment le lac Trasimène a pu expliquer les marécages du Val d’Arno. Sur sa carte, De Vinci a dessiné un cours d’eau qui n’existe pas dans la réalité et qui relie les deux. Le paysage du tableau peut donc résulter d’une question géographique du peintre.

 

Mais il y a aussi un pont avec une rivière en dessous. C’est le symbole par excellence du temps qui passe.

 

Malgré tout ces éléments qui font le succès du tableau, le commanditaire du tableau, monsieur Giocondo, ne l’aurait pas accepté s’il l’avait connu.

Pourquoi ? Il veut célébrer sa femme qui lui a donné deux enfants. A la place il a un tableau scandaleux. La femme sourit tout en étant proche de nous, ce n’est pas correct pour l’époque. En plus elle a les sourcils épilés alors que seules les femmes de « mauvaise vie » s’épilaient. Et en plus elle est devant un paysage « pré-humain » et chaotique.

Le Verrou de Fragonard

 

L’auteur montre la particularité du tableau de Fragonard, Le Verrou.

 

Le Verrou Fragonard

 

Cette particularité se comprend immédiatement par cette phrase d’un spécialiste que l’auteur reprend : « à droite le couple, et à gauche, rien ». La disposition du tableau est parfaitement résumée.

            Le rien occupe la moitié du tableau.

 

Mais ce rien laisse deviner ce qu’il va se passer ensuite.

– Au-dessus des oreillers, l’auteur voit « un tissu rouge avec une belle fente allant vers l’obscur ». Vous n’avez pas besoin de moi pour savoir ce que ça représente.

– Le tissu montre aussi ce qu’il va se passer. Le drap du lit au premier plan est fait de la même matière que la robe de la femme. On passe donc de l’un à l’autre. La répétition de l’élément fait transition.

– L’angle du lit au premier plan prend la forme d’un genou. Cela fait penser qu’il y a quelqu’un sous les draps et que cette personne est allongée dans le lit. Evidemment il n’y a encore personne à cet instant, mais dans celui d’après…

– Les oreillers ont une forme particulière. Le bout prend une forme arrondie et ils pointent vers le haut. Les coussins feraient donc référence à des seins.

– Le morceau de velours rouge sur la gauche du lit fait des plis bizarres Ils créent deux boules avec une « tige qui monte ». Nous avons alors la référence au sexe masculin.

 

Tous les objets de désirs sont présents dans la partie occupée par le rien.

 

Mais ce qu’il y a d’intéressant dans ce tableau c’est qu’on fait ce qu’il ne fait pas.

Nous, nous disons que c’est un sexe, un sein, un genou et cela peut choquer. Mais le tableau ne le dit pas. « Il ne le montre même pas, c’est à moi de le voir ou non ».

Il y a donc un jeu. Ces éléments sont présents, c’est à moi d’y faire attention. Je suis libre de vouloir les voir ou non.

La particularité de ce tableau est donc que le spectateur est confronté, non pas à l’indicible, mais à l’innommable.

 

Les miroirs

 

Le miroir fait aussi partie des objets de peinture qui intéressent l’auteur. Alberti expliquait que le peintre devait en utiliser un pour vérifier ses tableaux. Les choses réussies gagneront en grâce tandis que les défauts apparaîtront plus hideux.

 

Le miroir permet de voir l’autre côté. Dans un tableau, le miroir sert à montrer ce que nous ne voyons pas du personnage. Pour le portrait de Mme Moitessier, le miroir sert à montrer sa nuque.

 

Le miroir crée même dans certains tableaux un vrai jeu de regard.

L’un des plus célèbres exemples est le tableau des Ménines de Vélasquez.: « On y voit le roi et la reine, qu’on ne devrait pas voir, et on n’y voit pas ce qu’on devrait y voir puisqu’il reflète que le roi et la reine ».

 

Les Ménines Vélasquez

 

Le miroir peut aussi cacher des choses.

C’est le cas dans l’Immaculée Conception de Garofalo.

 

Immaculée conception Garofalo

 

Ce thème rappelle que la Vierge est née sans la tâche du pêché. Mais dans ce tableau, il y a un miroir, et dans ce miroir il y a une tâche obscure et celle-ci laisse apparaitre un portrait. C’est étrange, le peintre fait un sacrilège alors qu’il est lui-même dévot. Mais ce portrait n’avait pas pour but d’être vu. Pour l’apercevoir, il faut vraiment s’approcher. Il était placé près de l’autel de l’église du couvent de religieuse de Saint-Bernardin de Ferrare. Mais les sœurs ne pouvaient pas célébrer la messe, elle ne pouvait pas s’approcher du tableau.

 

Immaculée conception Garofalo

 

Le miroir peut aussi montrer la supériorité de la peinture sur d’autres arts.

On a supposé que Giorgione avait peint un tableau de Saint Georges déposant son armure près d’une fontaine, donc d’un miroir d’eau. Pour Daniel Arasse il s’agit plutôt d’un tableau de Van Eyck qu’on lui a attribué. Mais peut importe le peintre, ce qui est important c’est que la fontaine reflète toutes les parties du Saint. Le spectateur le voit donc de face, de profil, d’en dessous et de dos. Ce tableau par l’effet de miroir démontre donc « la supériorité de la peinture sur la sculpture, puisque la peinture peut tout montrer d’un seul coup d’œil ».

 

 

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4 commentaires
  • Clara
    Publié à 21:54h, 01 novembre Répondre
    Je suis un peu sceptique.. Comment pouvez-vous faire un article sur Daniel Arasse et ne pas avoir vu le dixième angelot ! Celui dont vous parlez, avec la baguette dans la main, n’est pas celui dont Daniel Arasse parle.. On ne voit que sa main. Il est situé sous le paon.
    • touslestableaux
      Publié à 09:50h, 03 novembre Répondre
      Effectivement il s’agit d’une erreur de ma part. Merci de me l’avoir fait remarquer.
  • khadija mahmoud
    Publié à 14:25h, 06 décembre Répondre
    les techniques d’investigation actuelle notamment la radiologie et le scanner ont révélées des détailles invisibles ou qui ont était volontairement cachées a l’oeuil nue .Ma question est comment lire ont ces détailles logées sous la surface picturale
  • touslestableaux
    Publié à 11:57h, 13 décembre Répondre
    L’usage de la radiographie et du scanner permettent de voir les différentes couches de peintures superposées. On peut ainsi voir si le peintre a apporté des corrections. Grâce à cela on peut même découvrir un tableau caché ou révéler la signature d’un peintre.

    La différence entre les deux se fait par rapport à la taille de la peinture et l’endroit que l’on souhaite analyser.
    Si tu veux plus de précision tu peux regarder ce site : http://www.tridilogy.com/oeuvres-dart/

    Et si c’est plus l’aspect scientifique qui t’intéresses je te conseil ça : https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-2010-11280.pdf

    Tu découvriras tous les procédés et comment ils fonctionnent, et en plus c’est simple à lire 🙂

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